Sur les traces du NS-533

 

 

Eddie Rosier me parla, il y a quelques temps, d'un Moqsuito du 25th Bomb Group, abattu au dessus de Pujaudran dans le Gers. Sur les traces de cet avion, la municipalité de cette petite commune à la limite de la Haute Garonne me communiqua les coordonnées de Jacques Leroux, un spécialiste des crashes d'avions dans le sud-ouest de la France au cours de la seconde guerre mondiale. Il nous fait part ici de son témoignage... sur les traces du NS-533

 

UNE TRAGIQUE MÉPRISE...

 

L'odyssée du Mosquito NS 533 est liée au bombardement des usines de l'aérodrome de Toulouse Blagnac et à celui du terrain d'aviation de Francazal le 12 août 1944 par des appareils de la 8th U. S. A. A. F.

 

 

Les avions qui attaquèrent ce jour là la ville rose ne venaient ni d'Angleterre ni d'Afrique du Nord; ils avaient décollé d'aérodromes italiens, de la région de Foggia, ville située sur la mer Adriatique et regagnaient leurs bases britanniques au terme de la Mission Frantic V.

 

Les missions FRANTIC

 

Rappelons que les missions Frantic avaient pour but de permettre le bombardement d'objectifs situés en Russie occupée ou dans des pays satellites de l'Axe par des appareils U.S. àpartir de bases ukrainiennes mises temporairement à la disposition des américains par le gouvernement soviétique.

 

II y eut 7 missions Frantic : quatre au départ d'Angleterre, effectuées par les Forteresses volantes de la 8th USAAF et trois à partir de bases italiennes, par celles de la 15th USAAF. Les aérodromes russes, "prêtés" aux aviateurs américains pour les sept missions Frantic, furent Poltava, Mirgorod et Piryatin, tous situés à proximité de la grande ville de Kiev, sur le Dniepr.

 

Le trajet accompli par les B17 de la 8th USAAF était le suivant : Angleterre Ukraine ‑Foggia (Italie) ‑ Angleterre (avec au cours de la dernière branche le bombardement d'objectifs situés en France). Ils étaient, par ailleurs, accompagnés de deux "Mosquito".

 

Le De Havilland MOSQUITO

 

Construit par la firme britannique De Havilland, le Mosquito, bimoteur, biplace à ailes médianes et à empennage classique, avait la particularité d'avoir une cellule construite en contre­plaqué. Sa légèreté lui conférait une vitesse supérieure à 600 km/h et une autonomie considérable.

 

II fut utilisé en différentes versions : chasseur-bombardier, chasseur de nuit, bombardier léger, marqueur d'objectif (Pathfinder), reconnaissance photo, reconnaissance météo et "Scouting". C'est ce dernier type de mission qu'accomplissaient les Mosquito des opérations Frantic effectuées par la 8th USAAF. Pour ce genre de travail , très particulier, les avions n'étaient pas armés.

 

" Scouting"

 

Une missions "Scout" , appelée encore d'"éclairage", nécessitait d'arriver sur l'objectif environ 20 minutes avant les bombardiers, pour ensuite 

- Observer les conditions météorologiques. 

- Effectuer une recherche visuelle des chasseurs ennemis en vol ou décollant d'aérodromes proches. 

- Essayer de repérer les positions de défense anti-aérienne (FLAK). 

- Noter l'efficacité d'éventuels écrans de fumée. 

- Prévoir l'évolution du temps sur l'objectif. 

- Communiquer les observations au responsable de la Mission sur le canal radio approprié. 

- Simuler si nécessaire une attaque sur un autre objectif. 

- Demeurer suffisamment de temps sur l'objectif pour avoir une bonne estimation de l'efficacité du bombardement.

- Rendre compte des résultats de celui-ci au responsable de la Mission.

 

L'équipage du NS 533

 

 

Le Pilote était le 1st Lt Ronald Max NICHOLS, originaire de l'Iowa. II avait déjà accompli un tour complet d'opérations comme pilote de B17 "Forteresse volante".

 

 

Le Navigateur, le tnd Lt Elbert Foster HARRIS, lui, venait de Louisiane. II avait été promu Navigateur météorologiste en février 1944. et rejoint Watton au mois de mai.

 

Cet équipage, très aguerri et soudé a effectué toutes ses missions sans aucun changement.

 

La mission FRANTIC V

 

Le NS 533 décolle de Watton, base située au nord‑est de Londres, le 6 août 1944 et se pose à Poltava le même jour après avoir servi de Scout aux B17 qui bombardent l'usine Focke‑Wulf de Gdynia en Pologne. Le 8 août il accompagne les bombardiers sur Katowice et le 11, il part pour l'Italie où il atterrit à San Severo, un terrain satellite de Foggia, après avoir accompagné les "Forteresses volantes" sur Ploësti en Roumanie.

Le deuxième Mosquito est piloté par le Capt. Baker.

 

 

 

 

Le samedi 12 août 1944

 

C'est le jour du retour vers l'Angleterre. Au passage les B17 des 95th et 390th Bomb Groups toujours escortés par les P51 du 357th Fighter Group doivent bombarder les usines aéronautiques de Toulouse Blagnac et le terrain de Francazal.

 

Le temps est clair, Nichols et Harris identifient parfaitement Naples et Rome ainsi que la Corse qu'ils survolent avant de rejoindre et de dépasser les bombardiers.

 

A l'approche de Toulouse, le NS 533 se positionne pour effectuer son travail habituel de "Scouting".

 

Le drame 

 

Alors que par routine, le Lt Harris se retourne pour vérifie l'absence d'ennemi dans l'angle mort arrière du Mosquito, il aperçoit deux chasseurs qu'il identifie comme des North American Mustang P51. Soudain, ceux-ci ouvrent le feu.

 

On apprendra plus tard que ces deux appareils du 364th Fighter Squadron du 357th Fighter Group ( celui qui, rappelons-le, assure l'escorte des bombardiers depuis l'Angleterre) ont pris le Mosquito pour un JU 188 allemand dont ils revendiquèrent la destruction.

 

Le Lt Nichols largue les réservoirs supplémentaires et lance l'appareil dans des "evasive actions" désespérées pour échapper aux rafales tirées par les deux "Mustang".

 

En même temps il tente de les contacter, d'abord sur le canal habituel de la chasse, puis sur celui des bombardiers, mais sans succès. Un pilote de B17, le 2nd Lt Boudon, interceptera cependant son appel et c'est ainsi que l'on aura connaissance des derniers mots du Lt Nichols. " Vous venez d'atteindre mes deux moteurs".

 

Le Mosquito est en feu; après plusieurs tentatives, le Lt Harris parvient enfin à s'éjecter à une altitude qu'il estimera à 12000 pieds ( 3.600 mètres).

 

Le 1st Lt Nichols qui n'a pu sauter trouvera la mort quand son appareil s'écrasera sur la commune de Pujaudran dans un bois au lieu-dit "Au Fusté".

 

 

 

 

2nd Lt Elbert Foster HARRIS

 

Après une longue chute libre, le Lt Harris actionne la commande d'ouverture de son parachute; à l'aide des suspentes il réussit à diriger sa descente pour toucher terre au sud de la RN 124.

 

Le choc est brutal, outre une hanche meurtrie à cause d'un heurt avec l'empennage du Mosquito lors de l'évacuation, il souffre d'une forte entorse à une cheville. De plus, il porte des traces de brûlures, et une blessure en séton à l'épaule, causée sans doute par une balle, saigne doucement.

 

Alors qu'il s'efforce de plier son parachute et qu'il hésite sur ce qu'il doit en faire, un paysan, accompagné d'une fillette, s'approche et lui fait comprendre par gestes qu'il doit s'efforcer de gagner des bois qu'il lui indique de l'autre côté d'un chemin.

 

Une fois le bois atteint, il se cache dans un fourré et y reste sans bouger malgré le passage à proximité de personnes qui, vraisemblablement, le cherchent.

 

Des gens courageux

 

Le Lt Harris va rester tapi dans son fourré jusqu'à la tombée de la nuit. Puis il va se résoudre à chercher de l'aide. Avisant une ferme, il s' y rend et là, une femme d'origine étrangère, Madame Rubinfeld, bien que terrorisée, va lui donner à boire avant de le conduire chez Busquère à "l'Arroudé" à Lias.

 

Accueilli, nourri et couché Harris va reprendre des forces. Dans la nuit, apprenant que les Allemands procèdent à des fouilles dans les environs, M. Busquère conduit Harris à une grange proche, le cache au milieu du foin, puis va contacter la Résistance.

 

Au point du jour, trois hommes du Maquis Roger, dont M. Jean Bourgois, viennent chercher Harris pour l'amener à "La Laque", commune d'Auradé, où bivouaquent les hommes du commandant "Roger".

 

On lui apprend la mort du Lt Nichols lors du crash du Mosquito et son inhumation au cimetière de Pujaudran.

 

Au Maquis de La Laque

 

Après avoir reçu les soins que son état requiert, Harris, vite adopté, va partager le sort des maquisards jusqu'au 19 août 1944, date à laquelle le Maquis Roger fait mouvement sur Toulouse pour participer à la libération de la ville.

Le commandant Touron demande alors au colonel Dhome, permanent du réseau Morhange, et à Monsieur Georges Kamir, officier Français évadé d'Allemagne et membre de la Résistance, de prendre soin du Lt Harris à qui il déconseille de tenter sa chance vers l'Espagne alors que le Sud-Ouest est en train de se libérer.

 

Le domaine de l'Houme

 

Monsieur Kamir et le colonel Dhome (celui-ci accompagné de Marcel, son chauffeur garde du corps) de celui-ci, conduisirent le Lt Harris au domaine de l'Houme, route de St Lys à Léguevin, propriété du colonel Dhome.

 

Elbert Harris va y rester plusieurs jours et pourra ainsi participer aux cérémonies de la Libération de Léguevin au cours desquelles il déposera des fleurs au monument aux morts à la mémoire des soldats français et de celle de son camarade le 1 st Lt Ronald Nichols.

 

Au cours d'une visite à un hôpital de Toulouse où il rencontre plusieurs soldats et officiers anglais et américains, il fait la connaissance de Madame Lejeune, une anglaise mariée à un ingénieur belge travaillant à la SNCASE, venue également visiter les blessés.

 

Elle va le mettre en relation avec une cellule américaine, récemment arrivée à Toulouse, qui, après vérification de son identité, accepte de se charger de son rapatriement en Angleterre.

 

Comme il doit se tenir prêt à gagner Francazal dans un laps de temps très court, M. et Mme Lejeune proposent à Harris de venir habiter chez eux à Toulouse, ce qu'il accepte, tout en regrettant l'ambiance particulièrement amicale du domaine de l'Houme. 

 

Le départ

 

Le soir du 5 septembre 1944, on le prévient qu'un avion de la Royal Air Force va arriver à Francazal et qu'il pourra y embarquer pour revenir en Angleterre; Il s'agit du doublé de Lockeed "Hudson" de l'opération "Dullingham". Madame Lejeune va accompagner le Lt Harris à Francazal où elle lui servira d'interprète auprès du responsable des opérations clandestines. Le Hudson de Elbert Harris atterrira sur un terrain près de Londres dont on ne révèlera ni l'emplacement ni le nom aux passagers. 

 

Plus tard...

 

Le Lt Harris conservera précieusement toute sa vie le souvenir de ses amis français. Il parlera souvent à sa famille des risques qu'il leur a fait encourir, de leur acceptation spontanée à les assumer. et leur en gardera toujours une profonde reconnaissance. 

Après son séjour en France , il a regagne l'Angleterre où il est interrogé ainsi qu'a Washington DC. Il est ensuite rentré chez lui en Louisiane. Il n'a alors donné aucun détail sur son aventure car on lui avait demandé de ne pas en parler. Après la guerre il s'est marié avec la jeune fille qu'il avait connue pendant la guerre , et il s'est inscrit à l'Université d'Etat de Louisiane pour terminer ses études de chimiste et d'ingénieur civil. Il devint ensuite associé dans une firme d'Engineering en Louisiane. Plus tard il travailla pour des firmes au Texas jusqu'à sa retraite en 1988. 

 

Comme il était en mauvaise santé il vint habiter à College Station ou ses soeurs résidaient. Il a eu deux enfants, une fille Laura et un garçon John. John dit qu'au cours de son adolescence son père lui avait parlé de son séjour au maquis. Certains soirs il suggérait à John de se rendre un jour en France voir tous les gens qui l'avaient aidé. Je voudrais bien que cela se réalise.

 

Depuis plusieurs années sa fille le pressait de prendre contact avec l'amicale du 25th Bomb Group. II en est résulté l'histoire de son aventure en France. 

 

Elbert Foster Harris est décédé au mois de juin 1995.

 

Afin que ses enfants n'oublient pas, il a tenu à raconter les souvenirs de son "Expérience du Maquis" dans un opuscule que sa soeur Madame Stella Wilkes-Harris a eu l'obligeance de me communiquer.

 

 

 

Le corps du 1st Lt Nichols a été exhumé du cimetière de Pujaudran le 25 juillet 1945 et inhumé provisoirement pour identification au cimetière militaire Rhone Memorial Cemetery de Draguignan (X125 supposé être le 1 st Lt Nichols : Tombe G - 5 - 913). Identifié formellement le 1 - 09 - 1945, il repose depuis le 2 - 05 - 1949 au cimetière de Colfax (lowa).

 

 

 

 

 

 

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