Jacques Dufour
dévale en trombe vers le pont du chemin de fer.
Hors d'haleine, épuisé,
fourbu, le côté droit troue par un point qui le
meurtrissait à l'égal d'un poignard enfoncé dans sa
chair, il parvint jusqu'au pont de chemin de fer et de
là, à la terme voisine. A I'angle de la .maison
s'élevait un tas de bois. Il pénétra en coup de
vent dans la maisonnette des Montintin. Un bref
dialogue s'engagea. "Je suis
foutu ! Les boches sont là ! Suzanne, cache-moi !"
Suzanne, la fille aînée, a jugé la situation en un clin
d'oeil. Chaque seconde compte. "Planque-toi sous le
bois !". En
face de la maison, à l"angle du pont de chemin de fer,
se dressait un tas de fagots qu'Auguste Montintin, le
père de Suzanne et Jeannine avait "fait rentrer"
quelques jours plus tôt. A l'abri des fagots,
Anastasie avait une toute petite chance d'échapper aux
soldats.
Suzanne enlève quelques
fagots, pousse Jacques à bout de forces dans les
branches mortes et le recouvre. Il était temps ! Des
Allemands venus de la gare voisine montent le chemin en
courant. Un pied de Jacques dépasse du tas de bois.
Suzanne s'assoit dessus et regarde tranquillement les
soldats arriver. Un sous-officier, en mauvais français,
l'interroge : "Terroriste là ?" Tous reconnurent de
bonne grâce qu'ils avaient vu un homme s'enfuir en
courant vers la voie du chemin de fer, mais il détalait
si rapidement qu'ils n'avaient pas eu le temps de le
reconnaître.
Les Allemands
repartirent donc en direction de la voie ferrée... Mais
pas tous, car l'officier qui commandait le détachement
se méfiait quand même. Il envoya des hommes battre les
environs immédiats du Pont sous lequel passait le chemin
de fer et s'installa dans la cour de la ferme, bien
décidé, apparemment. à ne rien laisser au hasard.
- Rentrez tous, dit-il
au fermier et a sa famille. Et ne vous avisez pas de
mettre le nez dehors. Suzanne, assise sur le pied
d'Anastasie ne se leva pas tout de suite et l'officier
l'interpella, la voix dure :
- Vous avez entendu ce
que je viens de dire ?
- oui oui répondit-elle
nonchalamment
Elle se leva, avec une
certaine difficulté, paraissait-il, s'appuyant des deux
mains sur les fagots qui s'écroulèrent sous son poids.
Quand elle fut enfin debout, sous l'oeil de l'officier
qui ne la quittait pas du regard, elle constata que le
bois. en roulant Sur le soi, était tombé sur je pied du
fugitif et le cachait à son tour.
La
jeune fille avait à peine fait quelques pas en direction
de la porte qu'une voiture blindée entra dans la cour.
Elle entendit alors une voix de femme lancer clairement.
à l'intérieur du véhicule :S'il vous plait, ordonnez à
vos hommes de me lâcher le bras. Je voudrais fumer une
de mes cigarettes.
Violette,
légèrement
blessée au bras, une entorse à la cheville, plus de
munitions, et littéralement épuisée a été capturée.
Maintenant plus de cent
soldats sont égaillés dans la campagne, ratissant chaque
haie, chaque buisson. La maison des Montintin est
fouillée méthodiquement. Les placards, la cheminée, les
armoires, les lits, le clapier, le bûcher sont visités.
Rien !
La chenillette repart.
Violette qui ne soupçonne pas Jacques si près d'elle
jette un dernier regard sur le lieu de sa capture...
Les allemands ne
renoncent pas. Ils savent que Jacques Dufour est le
chef régional de la Résistance, qui organise les coups
de main, assure la liaison des patriotes avec Londres,
prépare les parachutages, fournit les armes ; le
téméraire qui circule dans les trains, ses valises
bourrées à craquer d'explosifs, de mitraillettes ; celui
qui assure le passage en Espagne des aviateurs alliés
tombés en France.
Trois sentinelles sont
placées à l'entrée du pont. Elles vont rester là cinq
heures, le doigt sur la détente du Mauser, attentives au
moindre indice qui pourrait trahir le chef des
terroristes.
Pourvu qu'il ne tousse
pas, ne bouge pas, n'éternue pas pense anxieusement
Suzanne. S'ils le découvrent, nous sommes tous fusillés
! Les heures s'écoulent lentement ; Suzanne s'est rendue
chez M. Montely, le maire de Salon La Tour qui est
restaurateur et elle lui a demandé du rhum.
Pendant ce temps, M. Montintin a fait cuire des oeufs
durs. Avec un mépris complet du danger, Suzanne
fait semblant d'aller chercher du bois et à quelques
mètres des sentinelles, elle réussit à glisser au
fugitif la nourriture et le rhum. Plusieurs fois
dans la journée, elle recommence le manège, sans que les
allemands imaginent un seul instant, qu'Anastasie est
caché sous les fagots.
Enfin, avec le soir qui
tombe, les allemands renoncent et rentrent à Salon la
Tour.
Dans sa cachette,
Jacques a entendu les coups de feu, les cris, il a
deviné entre les branches la chenillette, dont le moteur
ronfle, à ses côtés. Maintenant un homme marche
lentement et le sable crisse sous ses bottes. Un train
passe. Un autre. La, fraîcheur pénètre sa chair
meurtrie. Le fugitif devine la venue du couchant et
espère de toute son âme cette nuit qui le délivrera...
Brusquement les fagots
sont remués. La lumière pourtant douce du crépuscule
l'aveugle. Ami ? Ennemi ? C'est Suzanne !
Il ne peut pas se tenir
debout et ses amis le traînent à la hâte dans leur
petite cuisine. Ses vêtements sont en loques. Le bois
a pénétré en mille échardes dans ses bras, ses jambes,
son corps. Il est incapable de penser.
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En replaçant les
fagots, Suzanne remarque de minuscules morceaux de
papiers déchirés le plus fin possible. Dans sa
cachette, Jacques avait détruit tous les documents qui
auraient pu compromettre ses camarades... sa mission.
Baigné, lavé, reposé,
restauré, changé, Jacques retrouvera ses compagnons de
lutte la nuit même.
Violette
est amenée au quartier général de la Gestapo à Limoges
et interrogée par le SS major Kowatch qui avait présidé
le jour précédent aux atrocités de Tulle.
Malheureusement, il est trop tard et Staunton ne peut rien faire pour la
délivrer. Le lendemain, accompagné de Bob
Maloubier et d'une équipe de résistants, il se rend à
Limoges et surveille la prison pendant plusieurs
journées.
Violette était conduite deux fois par jour au quartier
général de la Gestapo, pour y être interrogée.
C'est pourquoi ses camarades projetaient de l'enlever au
cours d'un de ces déplacements. L'opération devait
être effectuée le 16 juin. Bob Maloubier et quatre
maquisards, fortement armés, devaient bondir d'une
voiture et enlever Violette, tandis que Staunton et six
autres hommes, tous volontaires, couvriraient
l'opération en livrant combat aux gardes allemands.
Hélas, à l'aube du 16 juin, Violette fut transférée de
Limoges à Paris, en sorte que le sauvetage ne put avoir
lieu. Bien entendu, Jacques Dufour qui entre temps
avait rejoint Staunton, devait participer à l'opération.